Dazed and Confused au Vésinet
J’ai assisté hier à des fiançailles auxquelles je me suis d’autant plus ennuyé que la nécessité d’y paraître me forçait à remettre un rendez-vous avec la future mère de mes futurs enfants, et donc à me brouiller à mort avec elle – des fiançailles, en somme, qui me coûtaient les miennes…
J’avais
d’abord décidé de rentabiliser ma déconvenue, en éprouvant l’efficacité
du proverbe « malheureux en amour, heureux au jeu », et passé la matinée
de samedi à tondre mes amis (ex-amis, à présent) au Courchevel Limit.
Puis, à quatorze heures, empochant froidement leurs caves, j’avais plié mes deux mètres dans un taxi et filé vers le Vésinet.
Trajet
relativement agréable. Le récit de l’existence du chauffeur, fourni par
celui-ci, couvrait bien les chansons québécoises à la
radio – et cet homme pilotait avec une rare frénésie. Je ne sais pas sur
quoi nous bondissions sans cesse – le dos de dames âgées, sans doute –
mais je me retrouvai, bien avant la Défense, coiffé d’une coupe au bol à
force de ricocher dans l’habitacle comme une pelote de Chistera.
De toute
façon, mon moral était inentamable : j’étais dans l’euphorie extatique
bien connue du joueur de poker qui vient de nettoyer la table – Mon
coefficient de satisfaction personnelle était, évidemment, inférieur à
ce qu’il eût été si, au même moment, je m’étais trouvé à mon rendez-vous
manqué, en train de démontrer à la femme de ma vie combien, décidément,
je la trouve émouvante – mais il atteignait presque celui que j’éprouvai
lors de ma dernière victoire en tournoi de Hold’em… Quelle
nuit, dieux et déesses !… Le directeur de l’Aviation Club de France m’avait demandé
platement : « Qu’allez-vous faire de tout cet argent ? » et je lui avais
répondu : « Trouver une Money Domme qui déchire, et le lui donner. » C’était de l’humour, n’empêche que mes gains furent à peu près aussi vite dissipés que si j’en avais réellement trouvé une !
Arrivée :
Dés la grille, Anne-Claire de T. me plaint d’être venu me raser ici.
Anne-Claire est une ex. Nous nous détestions quand nous étions ensemble
(notre première nuit s’est terminée au commissariat, vous voyez le
genre…), et nous raffolons l’un de l’autre depuis que nous avons rompu.
C’est un genre de panthère noire de Java qui serait blonde. Très jolie,
très pianiste, très écuyère, avec parfois, dans les yeux, des lueurs
oranges pas rassurantes du tout. Elle est ce qu’on appelle un tempérament.
Nous avançons jusqu’à la zone des combats.
Beaucoup d’épaules et pas mal de jambes, sans compter les accessoires.
La fiancée
est, certes, un peu prétentieuse, mais tellement tarte ! De toute
façon, le fiancé est moche : c’est toujours comme ça quand on les
achète.
Nous décidons de nous imbiber. Je considère le soigneux Cuba Libre
que je tiens à la main en songeant que, défoncé aux endorphines comme
je le suis déjà depuis ma victoire au poker, je devrais me mettre à
léviter dés la première gorgée.
Un couple d’une extrême élégance nous aborde.
- On assure que vous vous y connaissez en astrologie, me dit la femme, avec une belle voix sombrée.
- Oh, quelques notions… réponds-je.
- Voilà : ma fille vient d’avoir un bébé, qui est un Gémeau… Quels conseils donne t-on pour un garçon Gémeau ?
- Je dirais… hâte-toi d’en profiter… parce qu’après, ça va être l’école, la carrière, la retraite, et bye-bye…
Aussi, ami Gémeaux, dès que tu nais, fonce à Saint-Tropez faire la fête
avec tes amis stars ! En plus mai-juin c’est la bonne période pour
aller à Saint-Tropez.
Le mari éclate de rire.
- De toute façon, dit-il, l’astrologie, c’est de la connerie…
Une autre dame, beaucoup plus vétuste que la première, se retourne vers moi, me croyant l’auteur de la remarque, et me demande :
- Qu’est-ce qui est de la connerie ?
- Ma foi, réponds-je, vous voyez Saint-Tropez, la mer, les filles, tout ça ?…
- Euh, oui…
- Eh bien, tout le reste, c’est de la connerie.
Tainted Love.
Anne-Claire et moi dansons. Beaucoup. C’est le mix de neuf minutes,
traditionnellement redouté de toutes les jeunes filles en talons hauts –
A peine un échauffement pour Anne-Claire, dont les chaussures sont
pourtant vertigineuses…
En
revenant de me poudrer le nez, j’assiste à une scène hilarante dans un
couloir… Le chef de famille se démène autour d’un grand monsieur maigre…
Il semble qu’il y ait eu ce que l'on désigne généralement par l’expression
triviale une couille dans le potage… et qu’on ait invité, par
mégarde, un sous-secrétaire de cabinet, attaché à je ne sais quel
ministère très en rapport avec le Fisc… C’est un énarque standard, qui
ne semble pas remarquer que sa présence gouvernementale rend le maître
de maison nerveux, et observe un tableau : « Tiens, c’est un petit
Renoir… » – « Sûrement un élève de Renoir, sûrement !!! » , s’empresse notre hôte…
Parlant de peinture, Anne-Claire est vissée devant un Picasso.
A-C – L’idée, c’est qu’elle est de face et de profil ?
Moi – Oui. Comme Rossy de Palma.
A-C – Dis donc, tu as un bout de papier? Je dois noter le numéro d’un mec beau comme un dieu, mais mon portable est batt-faible…
(Je déchire une page de mon agenda)
Moi – Tiens, le plan du 20ème, de toute façon on ira jamais…
Finalement,
nous estimons qu’il n’est bonne compagnie qui ne se quitte, que nous en
avons fait assez pour l’honneur et qu’il est temps de nous retirer.
- Et la bague ??? On ne peut pas partir sans avoir vu la bague !!!
Nous
manœuvrons savamment pour bloquer la fiancée dans un coin, et demandons,
de notre air le plus gazouillant, si « on peut voir la bague » –
Aussitôt, avec morgue, la tarte nous colle sa main gauche sous le nez…
Et là… une bague de tirette… un accessoire Mattel… un bijou qu’on ne se
baisserait pas pour ramasser si on le trouvait par terre… La méga-honte…
J’explose de rire, pendant qu’Anne-Claire la félicite, et lui dit de ne
« pas faire attention à ce grand [imbécile] », qui ne « connait rien
aux marques de haute-joaillerie », et n’a « aucun goût »… Mon hilarité
devient convulsive, à cause de la nervosité accumulée… Anne-Claire me
traîne dehors comme un vieux pochard et, prise de pitié, décide de me
ramener à Paris.
Je
parviens à cesser de ricaner bêtement aux abords de Chatou, cité des
Impressionnistes, et suis redevenu parfaitement digne lorsque nous
réintégrons la Ville-Lumière.
Voilà ce que j’appelle un samedi bien gâché, mais de façon plutôt indolore.
- 12 juillet 2009
Neuf ans déjà. Je n'en reviens pas que le monde ait changé à ce point. "La fête est finie", comme "ils" aiment à dire.
RépondreSupprimerLa fête est finie jusqu'à ce qu'elle recommence, comme j'aime à "leur" répondre.
Supprimer