Parmi
toutes les villes d’eau dans lesquelles personne ne va jamais en cure,
j’ai un faible marqué pour Divonne-les-Bains, agréable enclave française
en Suisse, essentiellement vouée au jeu et à la fraude fiscale.
Je
viens d’y passer sept jours de pures délices, à jouir, aux rares
instants où je m’oxygénais, des bienfaits innombrables de son air alpin — je suis comme neuf :)
Une semaine, donc, exclusivement consacrée au Texas Hold’em — Table à 500 euros — Gain net : 19906 euros — Si j’étais marié, je ne serais pas tranquille…
Mon
amour pour ce hameau de rentiers, dont le mètre-carré est le plus cher
de France, ne vient pas seulement de ce qu’on y croise peu de pauvres —
il vient d’une idylle de jeunesse, de ma passion pour une sublime
divonnaise, élève à Ferney-Voltaire, que je venais retrouver chaque
week-end, et avec qui j’épuisai en quelques mois toutes les possibilités
qu’offre l’érotisme humain en fait de lieux d’ébats, d’innovation, de
postures, d’adjuvants et de perversions… Je suis à peu près certain que
nous détenons plusieurs records mondiaux… Il n’existe, en tout cas, à ma
connaissance, rien que nous n’ayons fait : les plus chevronnés
tantristes font figures d’époux amish en comparaison, et tout Marc
Dorcel d’aimable bluette… Puis, un beau matin, ma partenaire me signifia
qu’estimant avoir exploré avec moi tout ce que la luxure avait à
offrir, elle était heureuse de procéder, sans remord, au mariage
catholique auquel elle aspirait avec un garçon connu aux JMJ —
et que je pouvais disposer ; je restai donc penaud, avec l’impression
pas vraiment gratifiante d’avoir été six mois un godemiché vivant.
C’était le bon temps :)
Dimanche. Premier soir : table comme à l’ordinaire —
En vrac : quelques jeunes niais se prenant pour Matt Damon parce qu’ils
connaissent les probabilités, des quinquas burinés, presque
immédiatement au tilt, ainsi que, bien sûr, de pauvres pigeons dont le
jeu consiste surtout en poses imitées de Gus Hansen. Je rafle tout.
Absolument tout. Au point qu’au moment de passer à la caisse, le chef de partie a, malgré lui, le visage en biais et le bassin tordu.
Je glisse sur la nuit : faire l’amour à une Anglaise, c’est de la masturbation.
Lundi.
Deuxième soir : un beau slowplay
avec A-A. L’avorton que je décave me regarde comme si j’étais en train
de violer sa grand-mère. J’imagine que c’est la première donne de poker à
laquelle il assiste, la démocratisation du jeu ayant établi, dans les
cercles tout-public, un genre de convention tacite de ne rien jouer
qu’au hasard, qui permet, par son flou, d’accuser l’autre de chance
insolente lorsqu’il gagne grâce à son savoir-faire, et de se targuer
d’une extraordinaire subtilité psychologique lorsqu’on gagne sur un coup
de chance pure… Ces gens méritent que je les dépouille…
Mardi.
Farniente, farniente, farniente…
Farniente, farniente, farniente…
Fix me dit avoir rencontré Jennifer Lopez à Paris, en club, et avoir échangé deux mots avec elle, sous les regards d’un bodyguard au visage extraordinairement hostile et froncé.
- J’aimerais pas…
- Bof… Il fait son boulot de gorille….
- Non. J’aimerais pas rencontrer Jay-Lo.
- ???
-
Tu connais l’impression bizarre que ça fait, quand on croise quelqu’un,
socialement éloigné de soi, avec qui on a rêvé, la nuit précédente,
qu’on faisait l’amour ?... C’est étrange, ça inhibe... Tout le monde a
fait cette expérience au moins une fois, par exemple en étant interrogé
par la prof d’Anglais qu’on prenait, oniriquement, en levrette quelques
heures auparavant…
- Très juste, ça inhibe…
-
Alors imagine ce que ça doit être de faire des mondanités en 2009 avec
la personne à qui on pense en se branlant depuis 1999 !!! Non, c’est
perdu d’avance…
Troisième soir : après des heures de calme plat, beau trait d’acting
de ma part. J’ai K-K. Je suis sans relancer. Un certain Jean-Luc, engluant,
chafouin, au sourire cauteleux de fouine servile, me relance. Tout le
monde passe. Je call.
Flop K-K-10.
Aïe.
Je suis premier de parole. Comment contraindre cette ordure sournoise à me donner les piles de jetons derrière lesquelles,
sa scoliose aidant, on le distingue à peine ?
Je check. Lui aussi. Tournant : J.
Je
re-check, espérant qu’il soit sur la quinte. Gagné, il ouvre à une
hauteur vertigineuse. J’affecte de réfléchir interminablement. Et call
avec toute la timidité possible.
Rivière : un 7 à la noix.
Terrible minute… Je ne peux pas prendre le risque de checker en embuscade, et de gaspiller mon carré de rois…
Je
risque alors le tout pour le tout : après avoir encore paru éprouver
d’effroyables dilemmes, pendant un temps anormalement long, je simule le
tilt, en m’écriant : « Oh et merde ! Tapis ! » — Et je pousse ma boîte avec amertume, me lève et commence à reboutonner ma veste, à ramasser mes affaires…
Lentement… lentement… l’ersatz se décide, et pousse son tapis avec un soin feutré…
LOL
:) Stu Ungar, le plus grand joueur de poker de tous les temps, disait
qu’il n’y a rien de plus jouissif que la tête d’un joueur médiocre se
prenant pour un expert, lorsqu’il réalise qu’il a été possédé. Je
confirme :)
Jean-Luc,
en voyant ma main, s’est instantanément métamorphosé en figurant d’un
film écrit par Martin Gray, et a, physiquement, perdu trois bons
centimètres. Peut-être cinq.
Après
s’être recavé, il lui faudra encore une bonne heure pour reprendre
figure humaine, et me dire, avec de sourdes menaces plein la voix : « Je
m’en souviendrai, monsieur… Je m’en souviendrai ... »
Mercredi. [...]
Quatrième soir : Black. Je joue serrure en picolant.
Jeudi.
Charlot me fait essayer un cocktail à base de rhum qui m’explose
complètement. Quelques neurones en moins, et quelques chromosomes en
plus, j’ironise un peu fort sur les bourrelets de la femme d’un touriste
américain ; son mari, parfaitement éléphantesque, me demande des
explications, et je prétends ne pas comprendre son charabia tout en
continuant mes vannes pourries. Je saurais le lendemain que je dois mon
intégrité physique au sang-froid de mes compagnons, qui m’ont traîné
hors du bar pendant que le personnel faisait barrage.
Cinquième
soir : Pas en état de jouer. En outre, Charlot s’est trouvé une copine
qui a l’un des plus beaux culs que j’aie vu de ma vie. Lorsque j’en fais
le compliment à mon ami, ajoutant, ce qui est rigoureusement exact,
qu’elle me « file vraiment une gaule de malade » (sic), il se rembrunit
et me dit qu’il s’agit, non d’une copine, mais de sa jeune sœur. Je vais
dormir.
Communication
personnelle : si, par miracle, ces lignes tombent sous les yeux de la
très belle jeune fille auburn, et visiblement d’excellente famille, à
laquelle, vendredi dernier, le minuscule serveur malgache de la brasserie le Baccara
de Divonne-les-Bains a tenu la porte, alors qu’elle sortait, en lui
disant « merci, mademoiselle ! », et qui a répondu à cet humble employé «
merci de quoi, macaque ? », qu’elle ait la gentillesse de bien vouloir
me laisser un message, et qu’elle considère que le grand monsieur qui
prenait son petit-déjeuner assis au fond à gauche a, dores et déjà,
l’honneur de lui demander sa main.
Nous
passons l’après-midi à jouer au Thelema Hold’em, le jeu le plus hype du
moment : procurez-vous un paquet du Tarot peint par Lady Frieda Harris
sous la direction d’Aleister Crowley ; ne gardez que les Lames mineures
et les Honneurs ; jouez ensuite, comme s’il s’agissait d’un jeu de carte
profane, une alternance d’Ananas et de Nullot 2-7, en No Limit. Vous
m’en direz des nouvelles :)
Sixième
soir : ma partie la plus difficile. Non pas techniquement, puisque les
différentes mains que j’ai jouées n’offraient aucun problème
stratégique, mais bien du fait d’un replet suffisant, et con comme un
ténor, qui avait ce soir-là une baraka totale.
Je
me suis retrouvé, à l’avant-dernière donne, tête-à-tête avec ce
cuistre, qui était parfaitement invincible depuis six heures, et
chip-leader comme on ne peut pas l’être.
J’avais
A-Q assortis, et le tableau Q-10-8-9 rainbow, s’il me donnait la
top-paire avec le meilleur kicker possible, me laissait perdant, quelle
que soit la rivière, dans le cas, probable selon moi, où cette adipeuse
andouille était entrée avec un valet.
Il relance violemment. J’hésite, et choisis (fallait-il que je fusse au tilt !!!) de le suivre.
Là-dessus arrive un Irish-Coffee, commandé par le gros-lard sur ma suggestion.
- Oumphhhh !!! s’exclame t-il, c’est superbon !!!!
- N’est-ce pas ? souris-je, l’œil rivé sur les mains de la croupière.
Rivière : 3 de pique.
Il pousse directement son tapis.
Je réfléchis, et lui lance en riant :
- Tu as une bonne main, ou pas ?
Il me répond : « superbonne ! » (c’était son mot, ce soir-là :)), avec énormément de conviction.
Seulement
voilà, on ne la fait pas au vieux Shumule : l’intonation qu’il avait
eue en saluant l’Irish-coffee (intonation sincère) n’avait rien à voir
avec celle qu’il avait eu en parlant de sa main. De l’inconvénient
d’avoir un vocabulaire restreint : j’ai su immédiatement qu’il était en
bluff.
- Payé.
Et
l’ex-chip-leader de blêmir, et de me montrer un piteux A-K, main
célèbre mais, en l’occurrence, laminée par ma paire de dames.
Samedi. Colossal grabuge au restaurant. Nez-à-nez avec une ex, prodigieusement belle mais qui avait, à l’époque de notre rupture, bien clairement annoncé partout son intention formelle de m’étriper. Elle fait une moue visible (mais alors visible) en me voyant débarquer. Moi, en boxeur de la vieille école, je relève le défi — je m’assois à côté d’elle, et me lance dans mon grand numéro de charme. La glace fond rapidement. Bientôt nous sommes les meilleurs amis du monde, et devisons en pouffant comme deux vieux complices de bringue — Las ! le vin aidant, elle en vient aux allusions personnelles, puis aux remontrances, et, malgré les suppliques de tous les convives, à la scène… On n’entend bientôt plus qu’elle, m’accablant de reproches, dans ce malheureux restau… Le serveur intervient… Elle l’envoie paître… Il insiste… Elle te me le jette à coups de coude !!!... Et allez donc !...« Dégage ducon !!! » LOL … Il veut retenter sa chance : « Appelez moi le gérant !!! » hurle-t-elle… L’infortuné loufiat verdit — mais le moyen de faire autrement ? Tout le restau a entendu, gérant y compris qui rapplique, tout miel :
- Je suis désolé, mademoiselle, je vous envoie un autre garçon…
Elle se détend un peu. Nous prenons le dessert et le café dans un calme relatif.
Malheureusement,
au moment de sortir, le garçon qui avait tant énervé mon amie s’avise
de ressurgir entre elle et son vestiaire, et de lui demander
d’intervenir pour lui auprès du gérant… « Il m’a mis à la porte à cause
de vous, mademoiselle »…
-
Ah vous !!! Vous commencez à me courir !!! se remet-elle à hurler. Le
gérant se rue derechef, nous offre un digestif, dit à son ancien serveur
« Vous êtes encore là, vous ? », et apaise les esprits…
Un quart d’heure après, dans les allées fraîches, mon amie marche en silence, perdue dans ses pensées.
Puis, sortant brusquement de sa rêverie, elle me dit : « Eh ben, au fond, ce serveur, il a pris pour toi… Il s’est fait virer : ça t’apprendra ! »
Septième
soir : le poker étant la vie en miniature, les cartes qu’on y reçoit
sont une simple question de bol ou, si l’on veut, de karma. La
différence entre gagner et perdre se fait, comme chacun sait, à la façon
de déchiffrer l’adversaire. Mais même dans ce cas, on trouve toujours
plus lucide que soi.
Le vrai secret, c’est la pensée magique.
Exemple,
ce samedi soir : lors du tête à tête ultime, je suis second en jetons,
de peu, et le chip-leader, excellent joueur, vient de me sur-relancer à
hauteur de mon tapis.
J’ai
J-J et le tableau affiche K-10-A-A-5. Il est évident que je dois jeter
mes cartes. Mais je suis déjà si investi dans le coup que j’hésite.
Mon adversaire ne laisse filtrer aucune information.
Je
suis sur le point de passer, lorsque je remarque, autour de son cou, un
pendentif portant l’idéogramme chinois du signe lunaire du Cochon.
Et
la réponse m’apparait, diaphane : « Je suis du signe lunaire du Rat
(oui… je sais… ça a déjà été beaucoup commenté...), celui qui succède au
Cochon dans le cours des années, et donc le supplante… C’est un présage
: je suis obligé de gagner… »
Stupide, allez-vous dire ?
Pourtant, je pousse mon tapis, et l’abattage révèle qu’il n’avait que Q-10 assortis…
Voilà pour l’essentiel de mon séjour à Divonne, qui n’est d’ailleurs pas tout à fait terminé, puisque c’est de ma chambre au Grand Hôtel-Domaine de Divonne que j’expédie ces lignes...
Les
villégiatures sont comme les parties de poker, et comme l’existence
elle-même : nous avons eu des hauts et des bas… nous avons dû supporter
des imbéciles, des médiocres et des méchants… mais, l’un dans l’autre,
nous nous sommes bien amusés, et nous sommes navrés quand cela se
termine…
Si vous voulez m’en croire, vivez sans temps morts, jouissez sans entrave, perdez-vous dans les yeux de celle que vous aimez — faites-lui plein de bébés poupards et rieurs.
— 10 août 2009
Bizarre que ce soit le seul texte libellé "Jennifer Lopez". Avant, tu la citais tout le temps. En plus, tu étais le seul au monde qui écrivais JayLo au lieu de JLo. Désolé, Shumule, elle ne va pas changer son nom pour toi.
RépondreSupprimerÇa rappelle des super souvenirs. J'ai encore la version non-expurgée: "Je pense avec fierté, en empilant mes liasses : « C’est toujours ça de repris sur nos 410 millions… »"
RépondreSupprimerToujours le même fou rire 10 ans + tard à « merci de quoi, macaque ? »
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